Des chiffres

Pour se rendre compte. De l’ampleur, de l’omniprésence et de la banalité des violences sexuelles. Le viol, c’est si fréquent et commun, c’est devenu banal.

Dans le code pénal Suisse, le viol est défini dans l’article 190 : «Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel.»L’atteinte à la liberté et à l’honneur sexuels est définie à l’article 191 : «Celui qui, sachant qu’une personne est incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l’acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d’ordre sexuel». La contrainte sexuelle est elle définie dans l’article 189 : «Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence envers une personne, en exerçant sur elle des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister l’aura contrainte à subir un acte analogue à l’acte sexuel ou un autre acte d’ordre sexuel.»

Le viol est considéré par la loi comme une infraction de violence grave, au même titre que le meurtre, l’assassinat ou le « crime passionnel » (écrit comme tel dans la loi à l’art. 113). La particularité du viol dans la loi, c’est qu’il ne peut être commis que sur « une personne de sexe féminin », contrairement à l’atteinte à la liberté sexuelle. La contrainte sexuelle est considérée comme une infraction de violence moyenne réalisée, au même titre que les lésions corporelles simples, la participation à une agression, et la menace contre les autorités (art. 285). En terme de statistiques, en 2019, sur un total de 1531 violences graves relevées par la police, 679 étaient des viols, en première place avant les lésions corporelles graves à 637. Sur 32’132 cas de violences d’intensité moyenne exercées relevées, on compte 626 cas de contrainte sexuelle.

En Suisse, il y a ce qu’on appelle les centres LAVI , de la Loi sur l’Aide aux Victimes d’Infractions, qui aident les victimes venant consulter de leur propre chef ou après un dépot de plainte. Les statistiques de ces centres sont les suivantes pour 2019 :

Il y a eu 1654 consultations pour contrainte sexuelle et/ou viol dans le cas d’un partenariat avec l’auteur.e. Il y a également eu 209 consultations pour « autres infractions contre l’intégrité sexuelle », définies dans les articles 194 et 198, toujours dans le cas d’un partenariat avec l’auteur. Sur ces 1654 consultations pour contrainte sexuelle et/ou viol, dans 1543 cas l’auteur était un homme. Il y a eu 1042 consultations, toujours pour les mêmes infractions, où l’auteur.e était le.a partenaire actuel.le. Dans 967 cas, l’auteur était un homme. 180 consultations dans le cas d’un.e partenaire en phase de séparation, 176 auteurs masculins. 432 consultations dans le cas d’un.e ex partenaire, 400 auteurs masculins. 449 consultations classées dans « autres relations familiales », 377 auteurs masculins. 1510 consultations dans le cas d’un.e auteur.e connu.e, 1327 auteurs masculins, 40 auteures féminines. 900 consultations dans le cas d’un.e auteur.e inconnu.e, 548 auteurs masculins, 13 auteures féminines. En 2019, il y a eu un total de 4624 consultations pour contrainte sexuelle et/ou viol en Suisse. Pas des plaintes, des consultations aux centres d’aide aux victimes. Sur ces 4624 consultations, il y a eu 1305 plaintes, 28.22% des consultations. Bien évidemment, c’est sans compter tous les cas qui ne sont pas présents dans les statistiques, une grande partie des victimes gardant le silence. Sur ces 1305 plaintes, 1109 sont élucidées selon les statistiques de la police (et dans ces statistiques comptent aussi les classées sans suite). 196 ne le sont pas. Plus tous les cas qui ne sont pas portés devant les tribunaux. Le chiffre si connu des 1% de violeurs en prison ne semble pas si surréaliste. Selon les statistiques des centres d’aide aux victimes d’infractions, en 2019, 208 indemnisations et réparations morales pour contrainte sexuelle et/ou viol ont été accordées. Sur 4624 consultations.

Le ratio cas/auteur masculin est assez similaire aux cas de contrainte sexuelle et/ou viol (0.94) pour toutes les autres infractions sexuelles décrites dans le code pénal : actes d’ordre sexuel avec des personnes dépendantes (0.92), actes d’ordre sexuel avec des enfants (0.80), ou les autres infractions d’ordre sexuel décrites aux art.194 et 198 (0.85).  C’est sans appel : la violence est masculine. Navré.e de devoir parler en termes si binaires, mais le viol, comme toutes les violences sexistes, est une violence systémique, dont les auteurs sont les hommes et les victimes les femmes. Jamais il ne sera nié que des hommes en sont victimes et que des femmes puissent en être auteures. Mais il est nécessaire de comprendre et reconnaitre le caractère systémique de ces violences. Le groupe social des hommes cis est détenteur majoritaire de la violence.

En France, un viol est défini comme tel : «tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise». En 2015, une enquête d’envergure, nommée Virage (Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes), a été réalisée en France. Les résultats sont similaires aux statistiques suisses (qui ont l’avantage d’être tenues particulièrement à jour chaque année). Bien que cette étude date de 2016, il y a peu de raisons pour lesquels ces chiffres seraient actuellement différents, il est donc légitime de se baser dessus. Voici les « principaux enseignements de l’étude » comme écrit dans les résultats de l’enquête :

1/ les violences sexuelles : une variété d’actes qui, dans leurs formes les plus graves, concernent principalement les femmes et sont quasi exclusivement le fait d’un ou plusieurs hommes. Sur 1 an, au cours des 12 mois précédant l’enquête : 52400 femmes et 2700 hommes ont été victimes d’au moins un viol, et 553 mille femmes ont été victimes d’agressions sexuelles autres que le viol. Au cours de sa vie, 1 femme sur 26 est violée, 1 sur 7 agressée sexuellement.

2/ les filles et jeunes femmes sont particulièrement exposées : pour près de 3/5ème des femmes qui ont été victimes de viol ou tentative de viol, le premier fait s’est produit avant 18 ans (et avant 15 ans pour 2 femmes victimes sur 5).

3/ La famille et l’entourage proche constituent le premier espace dans lequel se produisent les agressions : le 3/4 des femmes victimes de viols et tentatives de viols ont été agressées par un membre de leur famille, un proche, un conjoint ou un ex-conjoint.

En résumé : sur 12 mois, 62 mille femmes ont été victimes de viol et/ou d’une tentative de viol. 580 mille femmes ont subi au moins une agression sexuelle (dont viol et tentative de viol).

Selon planétoscope, dont les statistiques sont basées sur les chiffres de l’Observatoire National de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), les chiffres sont les suivants en France :  chaque heure, près de 9 personnes sont violées, soit 206 viols par jour. Le nombre de viols serait de 75 mille par an, 225 mille personnes si on compte les mineur.e.s, dont 16400 déclarés en 2017. Selon l’ONDRP, 1 viol sur 10 ne serait pas déclaré. Selon Amnesty, 90% des violeurs ne présentent aucune pathologie mentale (donc stop aux arguments psychophobes). Selon les statistiques de la permanence téléphonique nationale « Viols Femmes Informations », 96% des auteurs de viols sont des hommes, 91% des victimes sont des femmes. Les ratios correspondent aux ratios tirés des statistiques suisses.

Il n’est pas nécessaire de parcourir les statistiques des 197 pays pour se rendre compte que les chiffres concernant les violences sexuelles sont énormes. Pour autant, les victimes de violences sexuelles subissent de la culpabilisation, de l’isolement, et du harcèlement en plus de leurs traumatismes. Les chiffres sont là et devraient nous appuyer, même si j’espèrerais vivre dans une société où des chiffres n’ont pas plus de valeur que ma parole. C’est malheureusement le cas. Le moins que vous pourriez faire, c’est de nous laisser la parole. Et au moins, vous pourriez nous croire.